à propos
CI : Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
LF : Bien sûr, je suis né en 1964. Après le bac, je suis allé aux beaux-arts de Rennes où j'ai obtenu le DNSEP.
Après quelques années comme décorateur dans le privé, j'ai passé un Master d'arts plastiques à l'université de Rennes 2.
CI : Pouvez-vous vous présenter rapidement votre démarche ?
LF : Les puzzles peuvent, d'après moi, être rangés dans la catégorie des objets mystérieux. Non seulement ils proposent une pratique ludique dénuée de créativité, mais ils nous présentent aussi une iconographie incongrue où se côtoient des chatons "mignons", des plages idylliques et des bébés cactus. Alors que la mode est aux activités dites créatives, la pratique du puzzle propose un temps dont toute maîtrise quelle qu'elle soit est exclue. Cela pourrait être rédhibitoire, car peu valorisant dans notre société et pourtant, nombreuses sont les mains qui s'affairent à l'assemblage de paysages fantasmés. Derrière ses caractéristiques qui font ricaner certains, le puzzle nous dit beaucoup de l'homme, de son besoin de sécurité et de la nécessité qu'il a à se retirer du chaos pour se retrouver dans une pratique où l'assurance de poser la dernière pièce est la promesse d'une fin heureuse.
Développer une production artistique à partir de l'objet puzzle, c'est se donner la possibilité de questionner ses dimensions poétique, sémantique, sociologique, iconographique, plastique, psychologique, etc.
L'une des pistes explorées dans mes productions réalisées dernièrement consiste à interroger le pouvoir d'évocation contenu dans chacune des pièces de puzzle. Ces dernières sont toujours les fragments d'un tout « merveilleux » ou d'une réalité fantasmée. Par exemple, elles portent en elles un petit bout d'une représentation d'une plage au sable fin, d'un bébé au visage joufflu et rosé ou d'une princesse de conte de fées. Leur pouvoir de rêverie ou d'évocation d'un monde, d'un univers idéal ne les quitte jamais, même lorsque ces pièces sont séparées de leur tout initial. Mieux encore, lorsque l'on mélange des centaines de pièces aux origines différentes les micro-pouvoirs contenus dans chacune d'elles semblent s'additionner pour créer une matière chargée d'une énergie vitale extraordinaire. Cette materia prima aux multiples couleurs devient ainsi le symbole de nos espoirs de régénérescence, mais aussi de nos peurs de perte de substance les plus profondes.
CI- Dans vos derniers collages vous semblez malmener quantité de « belles » images ? Pourquoi tant de haine ? Que vous ont fait les petits chats mignons, les dalmatiens joyeux et autres bébés souriants ?
LF- Ils ne m'ont rien fait. Je n'ai pas peur des chats, ni des bébés d'ailleurs. Ce qui m'intéresse dans les puzzles, c'est, entre autres, l'imagerie qu'ils véhiculent. Ils représentent des scènes idylliques, des paysages de rêve, des scènes où le bonheur et l'insouciance ont les premiers rôles. C'est confronter ces images gentillettes avec d'autres, prises dans notre quotidien, qui m'intéresse. Ce n'est sans doute pas nouveau, mais je pense, j'espère, apporter une variation singulière.
Les documents que je colle sont les images que nous rencontrons dans notre quotidien que ce soit dans les magasins, sur des publicités ou dans les médias. Les images de guerriers ou de soldats napoléoniens peuvent paraître au premier abord extraordinaires. La guerre n'est pas à nos portes. Mais en réalité, on peut se demander si l'extraordinaire n'est pas dans la représentation du monde qu'en font les puzzles. Le gentil, le mignon, le doux sont visiblement plus rares que la destruction de la planète, les massacres et l'hyper consommation. C'est pour leur effet apaisant et lénifiant que les puzzles sont appréciés.
CI- Certaines de vos productions utilisent les pièces de puzzle d'une manière totalement différente. Vous semblez les utiliser, non plus pour leur qualité figurative, mais comme des tubes de couleur. Est-ce bien cela ?
LF- Effectivement, les pièces, lorsqu'elles sont assemblées, présentent des images figuratives, mais lorsqu'elles sont seules ou séparées ce ne sont que des fragments colorés, des unités de couleur. D'une certaine manière, ces pièces sont des pixels. Leur association permet de créer des compositions abstraites ou quasi abstraites. Je dis quasi abstraites, car en réalité, certaines de ces œuvres représentent des agrandissements d'un tout petit détail de l'image modèle présente sur la boîte de certains puzzles. Ce sont donc de grands fragments figuratifs, mais presque abstraits du fait de la disparition du référent. D'une certaine manière, c'est la création d'une nouvelle pièce de puzzle constituée de milliers de pièces.